INTERVIEW – Le redresseur d’entreprises Arnaud Marion appelle les entreprises à se transformer pour ne pas mourir et il alerte sur les effets pervers du Prêt garanti par l’Etat (PGE). Cette solution de trésorerie qui a permis à un grand nombre d’entreprises de survivre pourrait à terme les fragiliser.

Sa mission accomplie chez Velib, remis sur les rails, le redresseur d’entreprises Arnaud Marion conseille dorénavant une kyrielle d’entreprises en difficultés. Il vient de créer son « école de guerre » des dirigeants d’entreprises, l’Institut des hautes études en gestion de crise (IHEGC) et publie aux éditions Eyrolles un « bréviaire de guerre » du chef d’entreprises au titre percutant : Partout où je passe, les mêmes erreurs. Dans un entretien à Challenges, il alerte sur les effets pervers du chômage partiel et du Prêt garanti par l’Etat (PGE) et s’attend à un phénomène de « lessiveuse » en début d’année 2021 : une grande valse d’actionnaires et de dirigeants.

Challenges – Le Covid-19 va-t-il entraîner une augmentation massive des défaillances d’entreprises ?

Arnaud Marion – Le Covid-19 est un accélérateur et non un déclencheur. Les sociétés qui vont déposer le bilan étaient déjà fragiles, le Covid n’a fait que précipiter leur situation. Une première vague proviendra des refus de Prêts garantis par l’Etat (PGE). Les entreprises ayant connu une restructuration de leur activité n’ont pas de banquier pour financer leur activité. De manière logique, elles ne parviennent pas à obtenir un PGE. C’est un des angles morts de ce dispositif. Ces entreprises surendettées ou « débancarisées » alimentent une première vague de dépôts de bilan qui s’est enclenchée autour du 15 juin. Une deuxième vague devrait arriver au premier semestre 2021. Les entreprises insuffisamment profitables, n’ayant pas su se transformer, n’arriveront pas à retrouver un équilibre pérenne entre faible profitabilité, endettement, et nouveaux besoins financiers, surtout sur des segments de marché déclinants. Il est donc urgent d’imaginer des dispositifs de conversion en fonds propres. Nous menons d’ailleurs une telle réflexion dans le cadre de notre think tank à l’Association pour le retournement d’entreprise (ARE).

Les PGE peuvent-ils donc se transformer en pièges pour les entreprises ?

Le PGE est une solution de trésorerie transitoire. C’était le moyen le plus rapide et le plus efficace de donner du cash aux entreprises qui en avaient besoin de manière vitale pendant le confinement. Le problème, c’est que ces prêts devront être remboursés, alors qu’ils n’ont pas financé une création de valeur – comme c’est le cas normalement de la dette, qui sert à financer la modernisation ou la croissance d’une entreprise. A moyen terme, cela posera un énorme problème pour les entreprises fragiles. Cette dette ne vient pas renforcer les fonds propres qui vont être impactés par les pertes de l’année 2020, ce qui va paralyser leur capacité à emprunter pour leurs investissements. Or, les chiffres de la Banque de France montrent qu’une grande majorité des entreprises ayant obtenu un PGE n’ont normalement pas accès au crédit. 71% des sociétés ayant obtenu un PGE se trouvaient dans une situation fragile, avec une notation Banque de France inférieure à assez faible.

Le chômage partiel produit-il les mêmes effets pervers ?

Le mécanisme est le même. Beaucoup d’entreprises utilisent le chômage partiel, certains profitant même d’un effet d’aubaine, sans avoir réglé leurs problèmes de compétitivité. Le chômage partiel peut donc servir à masquer des difficultés structurelles de profitabilité. Quand ce dispositif s’arrêtera, les entreprises n’auront pas réglé mais reporté leurs difficultés.

Quelles pourraient être les conséquences concrètes de ces dépôts de bilan en cascades ?

Le nombre d’entreprises déposant leur bilan au même moment sera tel que les administrateurs judiciaires privilégieront les solutions les plus rapides favorisant l’emploi. On pourrait voir 15 à 20.000 faillites supplémentaires, s’ajoutant aux 50.000 faillites annuelles qu’on enregistre quand l’économie va bien. Les dirigeants auront moins de temps pour essayer de conserver leur entreprise. Les plans de cession vont donc l’emporter sur les plans de continuation, plus longs et complexes à orchestrer. Les solutions packagées avec les créanciers également, soit sous forme de plans de reprises, soit sous forme de dilution des actionnaires existants. Un phénomène de « lessiveuse » devrait s’enclencher : éviction des actionnaires, éviction des dirigeants, remplacés par de nouveaux propriétaires (souvent les créanciers) et un nouveau management. Les tribunaux donnant la priorité à l’emploi, les reprises se feront probablement avec 80% des salariés. D’ici un an, cela pourrait représenter 1 à 2 millions de chômeurs supplémentaires, une fois le chômage partiel mis à zéro.

 

Source : https://www.challenges.fr/economie/gare-aux-effets-pervers-du-chomage-partiel-et-du-pret-garanti-par-l-etat_718299