Solides, nombreuses, ancrées dans leur territoire, les PME familiales souffrent d’un étrange paradoxe : elles rassurent mais n’attirent guère ! Performantes et innovantes, elles portent l’économie. Et il est grand temps de le faire savoir !

Les fleurons français de l’industrie et du commerce viennent du terreau familial. Dassault, L’Oréal, Fleury Michon, Carrefour en sont les marques emblématiques. Derrière ces mastodontes, les PME familiales maillent le territoire et font figure de ventre mou.

S’il est difficile de dénombrer de manière fiable les entreprises familiales en l’absence de catégorie statistique dédiée, « aujourd’hui on peut dire qu’elles représentent près de 80 % du tissu économique français. C’est énorme. Il faut dire que la part de l’entrepreneuriat familial est importante dans toutes les économies développées », constate Miruna Radu-Lefebvre, titulaire de la chaire « Entrepreneuriat familial et société » d’Audencia Business School à Nantes. Des entreprises solides et pérennes.

Des transmissions freinées

Mais, problème, en France, les PME familiales ne se développent pas assez. « On dénombre 4700 ETI, et 75 % d’entre elles sont familiales selon le METI, contre le triple en Allemagne. Ce gap de croissance s’explique par la formation des successeurs potentiels et par la fiscalité », estime Miruna Radu-Lefebvre.

Les enfants de dirigeant s’engagent souvent dans des études longues et se tournent vers l’international pour parfaire leur formation. « Cette population hésite à revenir au sein de PME installées en région, dont elle se sent éloignée en termes de perspectives d’évolution », ajoute-t-elle. Conséquences : le taux de transmission chute entre la 2e et la 3e génération, perdant quasiment dix points, passant de 20 à 10 %.

La chaire d’Audencia, comme d’autres, a d’ailleurs été créée pour répondre à cette problématique. « La transmission naturelle ne l’est plus vraiment. Et avec la mondialisation, ce mouvement s’est accéléré. Les jeunes générations n’acceptent de revenir dans l’entreprise familiale que si elles peuvent vraiment en prendre les commandes. Or aujourd’hui, les quinquagénaires gardent les rênes », affirme François Antarieu, associé PwC. Au niveau fiscal, malgré le Pacte Dutreil particulièrement avantageux, les freins persistent.

Un problème de management

Le modèle a pourtant fait ses preuves. Ses points forts et ses points faibles se contrebalançant. Parmi les premiers, la vision des dirigeants à long terme. « Dans une PME familiale, l’intérêt de l’entreprise est supérieur à l’intérêt financier. Il n’y a pas de diktat financier. Au contraire, lorsque la famille s’entend bien, le niveau de confiance personnelle est élevé et augmente les chances de réussite, les décisions se prennent rapidement. À l’inverse, lorsqu’il y a mésentente, le conflit tourne vite au psychodrame », analyse Jean-François Lécole, dg de Katalyse, cabinet conseil en stratégie de développement.

Pire, en famille, pour protéger la cohésion du groupe, on préfère éviter les sujets qui fâchent, ouvrant la voie à des situations inextricables. Le modèle est perfectible, au moins sur deux points : le management et le financement. « Les entreprises familiales se limitent car elles préfèrent recruter des membres de leur famille et cela particulièrement en temps de crise », explique Cécile Fonrouge, professeure d’entrepreneuriat à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Ce « familiarisme » a des avantages et des inconvénients. Parmi les premiers, la loyauté, le partage de normes et de valeurs communes, la maximisation de la richesse commune, l’économie de coût (le membre de la famille sera moins cher qu’un manager), l’augmentation du capital symbolique (le nom fait figure de marque). « Le partage des valeurs est certainement la première force du modèle, car il est possible de copier un modèle, une histoire, mais il est impossible de copier des valeurs communes entre les salariés d’une entreprise », confirme Jean-François Cottin, expert-comptable, lui-même fils du fondateur du cabinet Fideliance (200 collaborateurs) dont il est associé.

Mais cette forme de repli sur soi comporte son lot d’inconvénients. D’abord, précise Cécile Fonrouge : « La dilution du capital familial à la deuxième, troisième ou quatrième génération conduit à gérer une entreprise patrimoniale possédée par une confédération de cousins. On peut voir apparaître des blocs d’intérêts divers ».

Surtout, l’entreprise se prive de regards extérieurs. Ainsi, résume Cécile Fonrouge, « dans un mouvement contraire mais pas contradictoire, en restant en famille, les ressources se rigidifient autour « de-ce-qui-fait-famille » ». Et on traverse les crises en renforçant les clôtures organisationnelles autour des savoirs existants. On cherchera à éviter les menaces prédatrices de fonds d’investissement. La devise des entreprises familiales – vivons heureux, vivons caché – l’illustre bien.

Ouvrir son capital

Pour développer une PME, voire la transformer en ETI, il faut investir, innover et se tourner vers l’international. Or la gestion familiale, qui est plutôt prudente, cherche à préserver l’indépendance des actionnaires.

Pour autant, les exemples d’entreprises en croissance sont nombreux. Celles-ci partagent des stratégies plus ouvertes et anticipent. Elles prévoient un plan de succession par exemple. « Il est nécessaire d’anticiper la transmission en identifiant un successeur, en préparant sa formation, y compris son parcours à l’extérieur de l’entreprise pour peaufiner ses compétences. Il faut aussi rechercher le financement, ce qui prend au minium 5 ans », déclare François Antarieu, associé PwC.

Ce plan permet aussi de régler la question en famille. Chez ACSM, une entreprise de tôlerie chaudronnerie industrielle de 70 salariés, Jean-Claude Le Bourdonnec, son p-dg, s’apprête à passer la main à son fils, Ronan, entré depuis trois ans dans l’entreprise et qui occupe actuellement le poste de dg. « L’important consiste à trouver la bonne équation afin que Ronan ait la majorité des parts mais que son frère et sa soeur ne se sentent pas lésés. Il n’y a pas de recette miracle car ce montage se fait en fonction de l’entreprise et des attentes de la fratrie », témoigne-t-il.

Plusieurs solutions sont envisageables : « le choix dépend notamment de la valeur de l’entreprise au regard du patrimoine global », résume Jean-François Cottin. Soit le patrimoine est suffisant et le cédant donne l’entreprise au successeur désigné en offrant des compensations aux autres héritiers. Soit il ne l’est pas et il faut créer un consortium familial avec un pacte d’associés. Celui-ci représente les intérêts de la famille mais sécurise la gouvernance en laissant les mains libres au successeur.

Sécuriser la gouvernance

Deux points clés sont à traiter à ce moment charnière : « L’organisation de la gouvernance et le financement », assure Jean-François Cottin. Concernant la gouvernance, les PME qui réussissent le mieux sont celles qui mettent en place un conseil de surveillance, consultatif, ouverts à des personnes extérieures, chargées d’épauler la nouvelle équipe.

Pour les aider, Bpifrance a identifié un réseau d’administrateurs indépendants ayant envie de s’impliquer dans le développement de PME. Quant au financement, l’ouverture du capital représente un outil efficace. « J’ai privilégié Bpifrance qui est force de proposition et qui nous aide à l’international ainsi que dans la transformation digitale de l’entreprise », confie Sophie Berdoues-Coudouy, présidente et actionnaire majoritaire des Parfums Berdoues.

Les enjeux sont forcément multiples. Les entreprises familiales doivent se réinventer, innover, s’adapter aux évolutions des technologies et des business model et assurer leur croissance à l’international. Or, pour y parvenir, elles ont besoin de renforcer leur capital humain. « Mais elles n’acceptent d’ouvrir leur capital qu’en échange de la création de valeur. Pour qu’un fonds soit légitime à leurs yeux, il doit apporter une différence stratégique », note Fanny Letier, directrice fonds propres PME et accompagnement de Bpifrance.

C’est la mission des fonds de la banque publique et de son « Accelérateur PME ». À l’heure où le monde des affaires met en avant les start-up et la Fintech, les entreprises familiales ont-elles encore une place ? Oui, sans aucun doute, d’autant que le modèle capitalistique ne les empêche pas d’innover. Au contraire, elles sont parfois plus rapides que d’autres dans le lancement de projet.

Le groupe Hammel, créé en 1948, présidé par Raymond Hammel, le fils du fondateur, et dirigé par ses deux fils David et Mickael, en offre une parfaite illustration. Avec 360 salariés, l’entreprise, spécialisée dans la gestion des fluides sur le marché français du sanitaire, de la plomberie et du chauffage, est une ETI qui n’a pas perdu son agilité. « Nous avons créé une start-up, Elmer, autour d’un produit disruptant : une douche design et connectée. Le but : avoir une démarche hyperspécialisée et ne pas subir les contraintes de notre marché traditionnel, ni de la culture de notre entreprise », commente David Hammel.

Une démarche innovante que les deux frères pourraient bien rééditer avec un nouveau projet. Quand les PME familiales ont à apprendre des expériences des autres, notamment des start-up, au coeur de l’innovation et viviers de jeunes talents.

 

Source : www.chefdentreprise.com/Thematique/profession-1056/Breves/Dossier-PME-familiales-entre-conservatisme-esprit-entreprise-330593.htm#zYYCLfd35OvutZ6C.97